Note conceptuelle

Mise en contexte

La pratique des humanités numériques se diffuse progressivement en Afrique. Au cours des cinq dernières années (2017-2021), les événements scientifiques et de formation sur les humanités numériques dans le monde ont vu une participation accrue des universitaires et des chercheur.e.s d’origine africaine.
Cela est illustré par un certain nombre d’exemples :

Au cours de la même période, des événements scientifiques axés sur les humanités numériques ont été organisés en Afrique ou, dans le cas d’événements virtuels dus à la pandémie du COVID-19, par des institutions et des organisations basées en Afrique. C’est le cas de la première (2017) et de la deuxième (2018) éditions de l’école d’été de Lagos sur les humanités numériques, organisés par le Center of Digital Humanities de l’université de Lagos. C’est le cas également de l’atelier en ligne sur “Resources for African Indigenous Languages” ou encore, du symposium organisé en mai 2020 par la Digital Humanities Association du Nigeria.

En mars 2021 s’est tenue à Lagos la troisième école d’été de Lagos sur les humanités numériques. En mai de la même année, un atelier satellite a été organisé en marge du dixième Congrès mondial de linguistique africaine (WOCAL10) sur le thème, “Technologies and Documentation of African Languages: Creating Synergies”.

Bien que ces différentes initiatives contribuent à accroître l’accès à l’information, aux savoirs et savoirs-faire dans les humanités numériques en Afrique, cette avancée ne bénéficie majoritairement qu’aux universitaires et chercheur.e.s résidant dans les pays anglophones d’Afrique. Les pays francophones, hispanophones et lusophones sont tenus à la marge.

La marginalisation des universitaires et des chercheur.e.s vivant en Afrique francophone ne concerne pas uniquement le clivage linguistique anglophone/francophone. Même au sein des organisations et des associations qui promeuvent la pratique des humanités numériques dans l’espace francophone mondial, la représentativité du continent africain est quasi inexistante. À titre d’illustration, Humanistica l’association francophone des humanités numériques ne compte en son sein qu’un seul membre issu du continent africain.

L’organisation d’une rencontre scientifique sur “Le numérique dans l’espace francophone”, le 29 septembre 2021, par l’Institut International de la Francophonie et l’université Jean Moulin (Lyon 3), à laquelle ont pris part quatre participants résidant en Afrique, est un début de réponse contre à cette marginalisation.

Les humanités numériques participent de la nouvelle heuristique des sciences humaines et sociales (Professeur Elisabeth Burr, discours d’ouverture de la 9ème université d’été des humanités numériques, Leipzig, 2018). Le changement paradigmatique qui en découle a le potentiel de renouveler les études en sciences humaines et sociales en Afrique.

L’impact sociopolitique et socioéconomique des recherches en sciences humaines et sociales en Afrique est très faible. Cela peut s’expliquer, en partie, par la perspective coloniale ou néocoloniale des appareils théorique et méthodologique qui sous-tendent la pratique scientifique en sciences humaines et sociales ainsi que dans les études littéraires en Afrique (Ngué Um, 2020). Pourtant, les universités africaines continuent d’accueillir, chaque année, d’importants contingents d’étudiant.e.s dans les facultés de lettres, sciences humaines et sociales, sans perspective d’insertion professionnelle pour une majorité de ces étudiant.e.s. Cette génération de diplômé.e.s de l’enseignement supérieur passe ainsi à côté des nombreuses opportunités offertes par la révolution numérique.

Objectifs

L’institut des humanités numériques d’Afrique francophone est un carrefour pour la formation, les rencontres, les échanges d’expériences et les débats, entre les universitaires et chercheur.e.s africain.e.s, les chercheur.e.s et les universitaires francophones d’Allemagne, les organisations francophones et la communauté internationale des humanistes numériques. L’implication du Professeur Elisabeth Burr en tant que porteure principale du projet vise également à créer des opportunités de collaboration avec l’université européenne des humanités numériques (ESU DH), l’un des plus importants événements de la formation en humanités numériques dans le monde dont le Professeur Burr est la promotrice et la directrice.

À travers les quatre ateliers qu’offre l’Institut, les participant.e.s développeront une expertise de base en science informatique fondamentale, en linguistique de corpus, en stylométrie et analyse des sentiments, en conception de bases de données et en Data Science.

L’Institut offre également des conférences ouvertes qui seront données par des experts à la réputation internationale établie dans différents domaines des humanités numériques. Le but de ces conférences et de permettre le brainstorming, le partage d’expériences et l’exposition des participant.e.s aux tendances récentes dans le domaine des humanités numériques à travers le monde.

Livrables et soutenabilité

Les objectifs de la première édition de l’Institut des humanités numériques d’Afrique francophone auront été atteints si, à la fin de la formation, les livrables suivants sont réalisés :

  • Les participant.e.s sont capables d’opérationnaliser la perspective des humanités numériques dans leurs pratiques académiques et de recherche, dans leurs disciplines respectives ;
  • Les participant.e.s ont acquis des compétences de base en science informatique fondamentale, à partir desquelles elles/ils peuvent développer des savoirs-faire de manière autonome ;
  • les réseaux de collaboration en humanités numériques ont été établis entre les participant.e.s francophones basé.e.s en Afrique et les experts et chercheur.e.s francophones en humanités numériques d’Allemagne, ainsi qu’avec le réseau international francophone en humanités numériques ;
  • le partage des savoirs et des expériences est effectif entre le personnel enseignant du Département des Sciences du Langage (DSDL) de l’Université de Yaoundé 1 et les experts internationaux, jetant ainsi les bases pour un partenariat durable ;
  • le DSDL est identifié comme un point focal de la formation en humanités numériques en Afrique francophone.

Défis scientifiques

Défi n° 1 : la multidisciplinarité

Un indicateur mesurable du succès de la première édition de l’Institut des humanités numériques d’Afrique francophone sera la représentativité des différentes disciplines des sciences sociales et des humanités. La participation devrait refléter non seulement une diversité de nationalités en Afrique francophone mais aussi, des profils disciplinaires aussi variés que possible. L’un des piliers de la sélection des candidatures sera la représentativité interdisciplinaires des participant.e.s.

Défi n° 2 : trouver un équilibre entre compétences technologiques et réflexivité philosophique

L’un des reproches qui est souvent fait au courant des humanités numériques c’est de faire le jeu du néolibéralisme (Allington, Brouillete et Golumbia, 2016). En contexte africain, ces critiques pourraient être amplifiées par la crainte d’un néocolonialisme académique déguisé, porté par la perspective occidentale, les enjeux économiques et géostratégiques, et un appareil conceptuel imposé.

Solutions

Réponse au défi n° 1 : refléter la multidisciplinarité

La question de la multidisciplinarité trouve une première réponse dans le concept de “Digital Carpentry Bootcamp” (ateliers d’assemblage informatique) qui donne l’occasion aux participant.e.s d’expérimenter de manière ludique la réalité opérationnelle des concepts si fondamentaux en informatique qu’ils sont considérés comme triviaux :

  • l’infrastructure physique de l’ordinateur et la mise en réseau de plusieurs ordinateurs ;
  • interagir avec l’ordinateur en ligne de commande ;
  • communiquer avec d’autres ordinateurs et en prendre le contrôle à distance.

Deuxièmement, le ciblage des technologies transversales comme le langage de codage XML et le choix des thématiques telles que “le cycle de vie des données” constitue un tronc commun de compétences pour toutes les disciplines des sciences sociales et des humanités.

Troisièmement, les domaines d’expertise telle que la “stylométrie”, l'”analyse des sentiments” ou encore la “linguistique de corpus” sont d’une utilité partagée entre un grand nombre de disciplines des humanités et des sciences sociales. Ces domaines font appel à un socle commun de compétences liées au codage, à la modélisation et à l’exploration des données textuelles. En définitive, le texte constitue le type de données prééminent dans toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Par conséquent, les participant.e.s issu.e.s des disciplines telles que l’histoire, l’anthropologie, les arts ou encore le droit, trouveront un intérêt dans ces sujets; aux côtés, des linguistiques et des spécialiste de la littérature.

Réponse au défi n° 2 (diffuser la technologie sans inhiber la réflexivité)

La réponse à ce deuxième défi est apporté à travers les discussions et les échanges qu’engendreront les conférences données par des experts internationaux venus de l’Occident mais aussi de l’hémisphère Sud. À cet effet, la présence du Professeur Ricardo Pimenta, qui viendra du Brésil, alimentera la réflexion critique au sujet de la prise en compte du contexte dans la pratique des humanités numériques.

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